Les racines haïtiennes d'Alexandre Dumas
Par Laurent Quevilly

On le dit cousin du baron de Vastey. Alexandre Dumas, le romancier français le plus lu au monde était fils d'esclave. Voici sa saga familiale...

En Normandie, Alexandre-Antoine Davy, marquis de la Pailleterie, est un aristocrate au blason passablement terni. Aîné d'une fratrie de trois garçons qui tous furent militaires, il se consume dans sa gentilhommière de Bielleville-en-Caux, près Bolbec. Tandis qu'à Haïti, ventrebleu, son frère cadet, Charles, se frise les moustaches dans son opulente plantation. Alors, il se décide à le rejoindre. Chronologie des événements...


La place centrale de Jérémie porte aujourd'hui le nom des Dumas.
1732. Charles Davy, le second des frères de la Pailleterie s'installe à Saint-Domingue pour exploiter le sucre, le tabac et l'indigo.

1738. Son mariage lui apporte une nouvelle sucrerie. C'est là que son aîné, Alexandre-Antoine, le rejoint à Monte-Christi. Mais son oisiveté exaspère très vite...

1748. Les dettes de Charles sont à leur comble. Il se brouille avec son indolent frère qui s'enfuit emportant avec lui trois esclaves : Rodrigue, Cupidon et... Catin. Tout ce monde ayant disparu, on croît bientôt mort l'aîné des Pailleterie. Ou est-il ?
Loin d'ici, à Jérémie. Là, sous le pseudonyme d'Antoine Delisle, Alexandre-Antoine Davy revend ses trois esclaves, acquiert une terre et achète la belle Marie Cessette Dumas à M. de Maubielle. On se perd on conjecture sur l'origine de cette jolie captive. Calixthe Beyala, écrivaine camerounaise la donne originaire du Gabon. Son nom dériverait de Dûma, Diginité en langue Fang. D'autres assurent que ce patronyme lui vient des négriers qui la capturèrent. D'autres encore ne voient en ce patronyme que le fait qu'elle habitait un mas. Quant à Debrunner, il lui donne une origine yorouba ou dahoméenne. Qui dit vrai ?

1753. Depuis belle lurette, le second des la Pailleterie a renoncé à retrouver les fugitifs et il a tiré une croix sur son frère. Son domaine s'est encore agrandi avec la sucrerie de la Mare-à-l'Oie. C'est un colon qui règne sur quelque 190 esclaves, 200 animaux qui lui permettent de vendre pour 200 000 livres de sucre.
Mais, souffreteux, Charles regagne la France. Son aîné étant définitivement considéré comme mort, il s'empare de son titre de marquis, fréquente la cour. Et dépense sans compter.

1760. Charles monte une société de commerce triangulaire. Il va bientôt acheter deux navires pour transporter des "nègres" de Sierra-Leone à Haïti.

1762.
 25 mars. Toujours caché à Jérémie sous le psydonyme de Delisle, l'aîné des Pailleterie voit Cessette lui donner un premier enfant. Il s'appellera Thomas Alexandre. Fils de noble. Né esclave...
A la Madère, nom de la plantation du couple, trois mulâtres vont encore naître: Adolphe, Jeannette et Marie-Rose...

1763. A bord de l'un des navires de Charles Davy, une mutinerie éclate et l'équipage copule avec les femmes esclaves. Scandale ! D'autant qu'avec la bénédiction du Roi, Charles vient de marier sa fille au comte de Maulde et d'installer le couple au château de Bielleville.Voilà qui fait désorde...

1771. Ayant quitté Bielleville, Charles-le-Négrier vend la propriété qu'il possède au Gâtinais et retourne à Saint-Domingue. Il y meurt d'une crise de goutte deux ans plus tard. Couvert de dettes. Peu après, impliqué dans un trafic d'armes, Louis, le frère cadet des Pailleterie, disparaît à son tour. Mauvaise année pour les Pailleterie.

Dernier survivant des frères Davy, Alexandre-Antoine, alias Delisle sort alors de sa réserve à Jérémie. Il entend récupérer son titre et les biens familiaux en Normandie. 

Mais d'abord, comment réunir l'argent du voyage ! Tout simplement en revendant ses enfants. Et il trouve preneur en la personne de M. Caron. Avec clause de rachat.

Le retour en Normandie


14 décembre 1775. Débarqué du "Trésorier", Alexandre-Antoine descend dans une auberge du Havre. Et fait venir à lui le curé de Bielleville : " Je suis Alexandre Davy de La Pailleterie, votre marquis, celui que l'on disait mort..."
Le marquis étant réapparu, le comte de Maulde, qui occupait alors son château, est sommé de déguerpir. Mais il fait mener une enquête à Saint-Dominque. Elle lui confirme que ce Delisle est bien Davy. Un conflit financier s'engage entre les Maulde et les Dumas. Il va durer des lustres.

En attendant, réintégré dans ses pénates, notre marquis vend son château de Bielleville pour 100.000 livres et une rente viagère de 10.000 à verser chez un chirurgien de Bolbec. Le voilà riche.
Fin 1776, il use de sa clause de rachat et fait venir son fils préféré, Thomas, sous le pseudonyme de Rétoré. Mais le vieux marquis fait scandale en s'affichant avec une maîtresse de 20 ans. On le retrouve à Lisieux. Là, Davy fait épouser son amante par un jeune compagnon. Quand la femme accouche, c'est un parrain mulâtre qui paraît à l'église : Thomas Rétoré ! Bouche bée des paroissiens...

On retrouve père et fils en cavale à Bernay. Puis à Saint-Germain-en-Lay. Le jeune homme va recevoir tout de même une éducation, goûter à la vie parisienne, suivre son père dans ses tribulations libertines. Jusqu'à leur brouille. Car, le 2 juin 1786, notre marquis décide d'épouser sa bonne, Marie Retout. Une intruse pour le jeune garçon. Que deviendront les droits de Cessette et de ses filles, restées à Haïti ?

Thomas s'engage immédiatement dans l'armée et prend pour nom de guerre celui de sa mère : Dumas. Il a alors 22 ans. Douze jours après son engagement, le vieux marquis trépasse. Bataille de succession. Thomas-Alexandre Davy, dit Dumas, dit Rétoré, finit par vaincre sa belle-mère, Marie Retout, qui cède " tous les droits de propriété sur Marie Césette, négresse, mère dudit Rétoré, sur Jeannette et Marie Rose, créoles, filles de ladite Césette et soeurs dudit Rétoré. "

Le premier général noir
Héritier, le voilà en fonds, Thomas Alexandre. Le voilà aussi Dragon de la reine. et il a... trois amis ! De quoi inspirer un roman au fils qu'il n'a pas encore. Les trois mousquetaires, par exemple...

 La Révolution. Les campagnes. Les victoires. Dumas est le premier général de couleur dans toute l'histoire des armées d'occident. En 1802, banni par Napoléon, retiré sans le sou à Villers-Cotterêt, le voici père d'un garçon : ce sera le fameux Alexandre Dumas. La suite, on la connaît...
Alexandre Dumas s'était juré de faire un jour le pèlerinage au pays de ses ancêtres. La mort l'en empêcha. Après lui, son fils, l'auteur de la Dame aux camélias, exprima le même vœu... Et c'est l'objet de tout un chapitre dans Le baron de Vastey.



Merci à Philippe Honoré, descendant des Retou et membre de Cercle d'Études Historiques et Archéologiques de Poissy.