Il est né le 23 février 1834 de Pierre François Lamy et de Dymphe Clémence Chantin. Les témoins de sa naissance furent Jérôme et Jean-François Thuillier.
Le
Bulletin religieux, novembre 1909 : On
nous annonce, au moment où nous mettons en pages ce
numéro du Bulletin, le décès de M.
l'abbé
Lamy, curé de Saint-Nicaise. Nous nous hâtons, en
attendant
de pouvoir lui consacrer la notice biographique que mérite
sa
belle vie, d'exprimer notre sincère douleur et de
recommander
son âme aux prières. La perte que font en sa
personne, la
ville de Rouen, et particulièrement les pauvres, sera
d'autant
plus vivement ressentie qu'elle était plus inattendue.
Quoique
dans sa soixante-seizième année, M.
l'abbé Lamy
était d'une activité, telle, de si vaillante
allure,
d'une si réelle jeunesse d'âme, qu'on
était loin de
songer à un fléchissement possible ou
à. une fin.
Il a été frappé, le 31 octobre,
à son
lever, d'une hémorragie cérébrale qui
a eu pour
conséquence immédiate la privation de la parole
et la
paralysie. Il a reçu aussitôt, en pleine
connaissance,
l'Extrême-Onction des mains de M. l'abbé Delestre,
vicaire
général. Monseigneur l'Archevêque est
allé
lui porter sa bénédiction le lendemain, jour de
la
Toussaint, dans l'intervalle des offices pontificaux. Le
vénéré prêtre est
décédé dans la nuit de mercredi
à jeudi 11
novembre.
M. l'abbé Lamy était né au
Mesnil-sous-Jumièges en 1834. Il fit au Lycée de
Rouen
d'excellentes études. C'est là que naquit en lui
le
premier désir du sacerdoce ; il lui vint, nous dit-on, au
cours
d'une conversation intime avec un de ses maîtres
universitaires. Il fut ordonné prêtre à
26 ans. Nommé
professeur à l'Institution Join-Lambert, il passa d'abord
deux
années à Paris pour conquérir ses
grades, puis
enseigna successivement dans toutes les classes, y compris la
philosophie. Il resta dix-sept ans dans cette noble maison. Dix-sept
années qui lui créèrent des relations
étendues, des sympathies profondes, jamais
relâchées de part et d'autre.
Après un rapide ministère à Duclair et
à
Ecrainville, il fut nommé curé de Saint-Nicaise
en 1886.
Tout le monde connaît les œuvres qu'il y a
créées : elles sont sous les yeux, elles ont fait
et font
encore un bien immense. M. l'abbé Lamy laissera dans cette
paroisse, si populeuse, si intéressante, où le
peuple,
encore respectueux du prêtre, est si bon, un souvenir
égal
à celui de l'abbé Prévost, de
légendaire
mémoire. De caractère droit, d'une
piété et
d'une régularité parfaites, optimiste invincible
par
tempérament et par esprit de foi, ferme administrateur, on
peut
dire qu'il a été un curé
modèle.
Les obsèques de M. l'abbé Lamy auront lieu lundi
prochain.
Si nous avions pu sténographier la touchante improvisation que M. l'abbé Richer prononça aux obsèques de M. l'abbé Lamy, curé de Saint-Nicaise, notre tâche serait aujourd'hui bien simpli- fiée; nous n'aurions qu'à la reproduire pour rendre au digne prêtre l'hommage que lui doivent nos annales diocésaines. Au moins nous nous en inspirerons, nous ne saurions suivre un guide plus sûr.
M. Lamy naquit en 1834 à Mesnil-sous-Jumièges. Il appartenait à une excellente famille de cultivateurs, représentée encore aujourd'hui par un frère et une sœur du vénéré défunt. Le jeune Lamy fit ses études au lycée Corneille. Son premier rêve, paraît-il, fut d'être notaire. Mais l'homme propose et Dieu dispose. La mort prématurée de son père le força à rester à la maison familiale dont il devint le soutien. Au milieu des soucis matériels que lui imposait son nouveau genre de vie, il réfléchit beaucoup et bientôt entrevit un idéal plus élevé, plus en harmonie avec les qualités d'esprit et de cœur que Dieu lui avait données. Il demanda conseil à un de ses anciens professeurs et entra au grand séminaire. En le quittant il devint professeur à l'institution Join-Lambert. Il fut ordonné prêtre en 1860. Il passa deux ans à Paris pour y conquérir ses grades universitaires. Il revint ensuite à sa déjà chère Institution et y resta 17 ans. Il y fit presque toutes les classes, y compris la philosophie. D'un caractère aimable, il ne trouva en ses collègues que des amis, et certaines de ces amitiés furent la joie et la consolation de toute sa vie. Il sut conquérir aussi de très vivaces sympathies dans le cœur et la famille de ses élèves : la Providence lui préparait ainsi de loin les auxiliaires dont il aurait plus tard besoin pour mener à bien ses œuvres de charité. Au point de vue pédagogique, nous devons citer la part qu'il prit à la rédaction et à la mise au, point du règlement et coutumier de la maison, ce petit chef d'œuvre de précision ordonnée dont l'Institution est si justement fière..
Nommé à Duclair...En 1876, l'état de sa gorge lui rendant difficile la continuation de l'enseignement, l'autorité diocésaine lui confia un poste modeste, mais qui était un poste de confiance : le curé de Duclair était vieux et malade ; l'abbé Lamy lui fut donné comme auxiliaire.
En fait, il fut curé de Duclair pendant cinq ans, aussi attentionné envers le vénérable vieillard que dévoué envers les paroissiens.
... à EcrainvilleEn 1881, M. Lamy, fut nommé curé d'Ecrainville. Dans cette belle paroisse, disait M. l'abbé Richer, dans cette paroisse qui est une des meilleures du pays de Caux, il ne resta que cinq ans à peine, mais il sut si bien se faire aimer de tous que son souvenir y est resté en bénédiction, et qu'à ses funérailles plusieurs paroissiens d'Ecrainville vinrent rendre un dernier hommage au curé que 23 ans passés ne leur avaient pas fait oublier. Lui-même du reste avait gardé un souvenir très tendre de son ministère à Ecrainville, et il se plaisait à répéter que les cinq années qu'il y passa furent les plus heureuses de sa vie. M. le vicaire général rappela aussi tous les travaux qu'il entreprit pour restaurer et embellir son église.
... à Saint-NicaiseEn 1886 on lui confia la paroisse de Saint-Nicaise. Saint-Nicaise a sa physionomie propre et bien caractéristique au milieu des autres paroisses de Rouen : c'est une paroisse populaire, mais où le peuple a conservé ses traditions religieuses: nulle part on n'a l'esprit paroissial davantage qu'à Saint-Nicaise. C'est une paroisse pauvre, mais où l'on a bon cœur et où les pauvres servantes, les pauvres confectionneuses ou ravaudeuses en chambre trouvent moyen de secourir ceux qui sont plus pauvres qu'elles. Dès le début M. l'abbé Lamy comprit sa paroisse, et, l'ayant comprise, il l'aima. Son ministère peut se résumer en trois mots, il fut l'homme de Dieu, l'homme de ses paroissiens, l'homme des pauvres.
« Sa piété, dit l'Echo de Saint-Nicaise, était édifiante. Bien souvent je l'ai admiré pendant sa méditation ou son action de grâces après la messe; les mains jointes, les yeux baissés, il paraissait tout absorbé en Dieu. Rien n'était plus touchant que de le voir au cours de la journée, quand il passait à l'église, se mettre à deux genoux devant le Tabernacle, appuyé sur la grille, le .priant de tout son cœur. On voyait transparaître visiblement sur es traits son amour et sa foi pour Notre-Seigneur dans l'Eucharistie.
« Toute sa vie d'ailleurs était austère et réglée. Levé tous les jours à 5 h. 1/4, il ne prenait jamais son repos avant 10 h. ou 10 h. 1/2, il ne s'endormait jamais que toutes ses affaires ne fussent en bon ordre. On pourrait dire que dans la journée il ne se reposait jamais. Occupé sans cesse de ses œuvres et des intérêts de la paroisse, on le voyait souvent aller et venir de son pas encore alerte ; c'est à peine si, le soir surtout, il prenait le temps de manger. Et cela dura jusqu'au bout : on peut dire vraiment qu'il est mort à la tâche. »
Et la tâche fut accomplie jusqu'au bout avec un dévouement, une générosité qui tiennent du prodige: « Nul n'était plus curé que lui, il aimait sa paroisse comme d'autres aiment leur maison et leur famille. Il ne la quittait que rarement et dans la strictemesure où il avait besoin de repos pour réparer les brèches faites à sa santé par une excessive fatigue. Il remplissait avec une rigoureuse exactitude les devoirs de sa charge : célébration des offices, prédications, catéchismes. Le dimanche qui a précédé sa maladie, il avait encore pris la parole en chaire; deux jours avant d'être frappé, il avait fait son catéchisme. Il ne manquait à aucune réunion paroissiale, et chaque soir il avait à cœur de prendre une part active à la prière et au salut. »
Pour mieux atteindre son but, l'évangélisation de sa paroisse,il développa ou même tonda des œuvres. Dès son arrivée il fit une très active propagande pour les œuvres de la Propagation de la Foi et de la Sainte-Enfance. En peu de temps les souscriptions passèrent de 50 fr. à 7 et 800 fr. C'est ainsi qu'il fut à même d'apprécier et d'admirer dès l'origine la générosité de ces modestes et pauvres ouvrières dont j'ai dit qu'elles étaient l'honneur de la paroisse. Puis ce furent les écoles qui attirèrent son attention et sollicitèrent son zèle. Soutenir deux écoles, quelle générosité personnelle, quel dévouement constant cela suppose! Pour elles il se fit mendiant, et c'est ainsi qu'il sut donner au Pain Bénit de Saint-Nicaise une nouvelle vie et une nouvelle fécondité. Aussi malgré toutes les difficultés résultant de la. laïcisation des maîtres et des maîtresses, il réussit à maintenir ouvertes toutes deux ses chères écoles. Si, en ces derniers mois, il se résigna à en fermer une, ce fut, du moins il le crut, pour un plus grand bien, et encore il ne s'y résigna que la mort dans l'âme, et en ses derniers jours,, en voyant l'acharnement mis par nos ennemis à s'emparer de l'âme des enfants chrétiens, il se prenait à hésiter et à regretter presque la décision qu'il avait prise. Quoi qu'il en soit, il étaitentré de tout cœur dans la voie des œuvres de jeunesse et entourait de toute sa sollicitude son nouveau patronage de garçons.
A un prêtre de 65 ans qui mettait en doute devant lui l'efficacité des œuvres de jeunesse et qui voulait qu'on n'innovât en rien dans le ministère paroissial, il disait, lui qui avait 75 ans : « Vous êtes parmi les vieux, vous ; nous, nous sommes parmi les jeunes. »
Ce qui donne à cette noble figure tout son relief, ce qui l'entoure d'une auréole toute céleste, c'est sa générosité inépuisable pour les pauvres. Et tous avaient les larmes aux yeux, le jour de l'inhumation, lorsque M. l'abbé Richer lui appliquait la parole qui fut dite de saint Victrice : « Si vous avez besoin de trouver sa demeure, cherchez la maison devant la porte de laquelle il y a le plus de pauvres; c'est là. » Ses aumônes les plus généreuses allaient aux pauvres honteux, aux veuves obligées de nourrir de nombreux orphelins, aux pères de famille chargés d'enfants, aux confectionneuses condamnées au salaire de famine, que le moindre chômage réduit à la misère. Ce n'était pas seulement la charité matérielle qu'il faisait aux déshérités de sa paroisse, c'était l'aumône de l'esprit : il leur prêtait ou leur donnait des livres, des brochures, des journaux, pour occuper les loisirs du dimanche, bercer la douleur de l'infirmité ou distraire l'ennui de l'isolement. Pourrions-nous passer ici sous silence ce fait touchant qu'il payait à lui seul une dizaine d'abonnements au Bulletin religieux ?
L'œuvre des MiséreuxMais l'œuvre qui lui conquit le plus de popularité, c'est l'œuvre des Miséreux. Il acquit un immeuble dont il voulut faire la maison de ceux qui n'en ont pas. Là il disposa une chapelle où tous ces. malheureux qui, à tort, il est vrai, n'auraient pas osé avec leurs guenilles, s'installer pour prier dans une église ordinaire, pourraient assister à la messe, et entendre la parole de Dieu. Puis après leur avoir rompu le pain de l'âme, on leur distribuait le pain du corps, et ils partaient de là plus résignés, plus.calmes et plus forts. Et c'est par centaine de mille kilos que le pain blanc leur fut ainsi distribué. Pour l'aider dans la réalisation de cette œuvre gigantesque, il comptait sur les aumônes des riches, et elles ne lui firent certes pas défaut ; mais il comptait surtout sur saint Antoine, et l'incomparable thaumaturge, lui non plus, ne lui fit jamais défaut. C'est là surtout qu'il devient évident que M. Lamy fut à la lettre un instrument choisi par la Providence pour accomplir ce ministère spécial d'assistance aux malheureux dans la ville de Rouen. Un jour, une servante vient le trouver et lui offre une statue de saint Antoine pour l'église Saint-Nicaise ; le bon curé refuse. Quelque temps après, la pauvre femme revient à la charge, nouveau refus.
Enfin l'obstination de la donatrice eut raison des répugnances de M. Lamy et l'œuvre da Pain des Pauvres fut fondée et bientôt complétée par l'Association de Saint-Antoine. L'abondance des offrandes indiqua clairement au curé de Saint-Nicaise la route qu'il fallait suivre, il y entra vaillamment et devint ainsi le trésorier officiel de saint Antoine, l'économe généreux et fidèle de la Providence envers les miséreux. C'est là son plus beau titre à la reconnaissance de ses concitoyens, ce ne fut pas sans doute un de ses moindres titres à être accueilli dans la gloire du ciel par celui qui a promis de ne pas laisser sans récompense un verre d'eau donné à un pauvre en son nom.
Source
Le bulletin religieux, novembre 1909