Le
baron de Vastey, la voix des esclaves Le making of du livre Comment
ai-je été amené à
écrire Le
baron de Vastey ? Je savais qu'un vague cousin
à la mode
de Jumièges, Jean-Valentin Vastey, s'était
établi comme colon à
Saint-Domingue. Je savais surtout que son fils, fait baron à
la
révolution haïtienne, était devenu le
premier écrivain du nouvel
état haïtien. Il avait laissé
derrière lui une dizaine de livres
dont le plus connu, Le
système colonial dévoilé,
intéresse
toujours les universitaires anglo-saxons. Mais personne ne savait
rien de sa vie...
J'ai
donc mis en ligne un article
sommaire sur mon site normand d'histoire locale, Le canard de Duclair.
Au
début de ma carrière de journaliste, un de mes
papiers avait provoqué la découverte des
manuscrits de Jean-Marie Déguignet, connus aujourd'hui sous
le nom de
Mémoires d'un paysan bas-breton. Mais cette
fois, je n'y croyais guère... Jusqu'au jour
où, coup de théâtre, je
reçois un mail de Cécile Debœuf. Comme
moi, elle était une lointaine descendante des Vastey mais
elle avait
surtout conservé leur correspondance familiale.
Cécile Debœuf et Laurent Quevilly, tous deux descendants de Vastey. De
Vendée, Cécile est venue
m'apporter tous ces documents qui vont de 1759 à 1835 et
évoquent
par le menu la vie quotidienne d'un colon à Saint-Domingue
et puis
cette révolution qui aboutira à
l'indépendance de l'ancienne
colonie. Il m'a fallu déchiffrer ces écritures
improbables, mettre
en perspective les événements décrits
dans le contexte de
l'époque. Pour cela, des centaines et des centaines
d'ouvrages ont
dû être consultés. Nous avons
interrogé aussi les archives de
l'inscription maritime, les bases généalogiques
du Pays de Caux, du
Havre, d'Haïti en adhérant à ces
sociétés.
A Jumieges, printemps 2011. Première étape d'un voyage triangulaire... Sur
le terrain, nous nous sommes
d'abord rendus à la mairie de Jumièges
éplucher les vieux
registres. Les collaborateurs de mon site, Jean-Pierre Hervieux,
Josiane Marchand et son fils Jean-Yves, Alain Boutard ont
également
écumé les archives de la Seine-Maritime.
Il
nous a fallu descendre par deux fois
aux archives coloniales d'Aix-en-Provence avec la crainte de chercher
une aiguille dans une botte de foin. Mais la pêche a
été
finalement bonne et un chercheur bénévole de
l'association Fil
d'Ariane a complété nos recherches de
même que l'un de ses
homologues aux archives nationales à Paris.
Nous
aurons finalement accompli un
voyage triangulaire. Car de Normandie, point de
départ des navires négriers, nous nous sommes
rendus d'abord
l'île de Gorée, au Sénégal,
où la maison des esclaves symbolise
tous les établissements parmi lesquels ont
transité des millions et des millions de
déportés.
Avec
Allioume Kabo, historien de la maison des esclaves, île de
Gorée, Sénégal, en 2012. (Photo :
Tristan Quevilly)
Nous
sommes allés ensuite au
Cap-Haïtien, où arrivaient les esclaves mais aussi
où Jean-Valentin
Vastey a débarqué, un beau jour de 1769. De
là, nous avons reconnu ses anciennes
plantations
à Plaisance, La Marmelade, Enney. Nous avons
visité aussi la
citadelle La Ferrière et le palais Sans-Souci où
son fils a connu
son ascension et a été
arrêté en 1820. Au cap enfin, nous sommes
allés sur les lieux mêmes où il fut
assassiné. Je dois cette
chance à l'Alliance française où j'ai
dû donner une conférence
sur l'état de mes recherches. Elles étaient alors
loin d'être
abouties.
![]() Eh
oui, j'ai beaucoup donné pour écrire ce livre.
Mais bien moins que ce cheval ici l'assaut de la citadelle, hiver 2013.
Avec l'indépendance de 1804, nombre de colons français ont fui vers Cuba. J'ai donc tenté d'y retrouver la trace de Jean-Valentin. D'abord à Santiago où nous avons rencontré Agnès Renault, diplômée de l'université du Havre et qui a recensé tous les Français réfugiés dans cette ville. A Baracoa ensuite où Alejandro Harmann, le directeur du musée, s'est livré au même travail. Je passe sur les multiples contacts
noués sur le net avec des passionnés d'histoire,
des généalogistes,
tout ce travail aura duré trois ans. A temps plein. Le
résultat
n'est pas un roman
d'aventure. C'est le fruit de toutes ces recherches que je mets
simplement à
disposition.
J'ai choisi, pour l'éditer, la formule du livre imprimé à la demande car je n'ai pas percé tous les secrets de la famille Vastey et j'espère que cet ouvrage évoluera encore. Le premier jet apporte en tout cas un éclairage inédit, d'abord sur la personnalité du baron de Vastey et ses ambiguïtés et puis sur la vie à Saint-Domingue car, à ma connaissance, il n'existe pas une correspondance aussi longue, portant sur des événements aussi capitaux et émanant d'un homme issu des classes populaires. Son témoignage permettra de mieux comprendre ce qu'était le système colonial et ce qu'ont enduré des millions d'êtres humains. Enfin, à Haïti où l'indépendance de la nation reste si fragile, la voix tonitruante du baron de Vastey reste d'actualité. Laurent QUEVILLY.
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