La maison des esclaves de l'île de Gorée | |
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Son histoire est
controversée. Au Sénégal,
l'île de Gorée n'en demeure pas moins le symbole
de la Shoah noire. Nous nous y sommes rendus pour écouter
Alioume Kabo, l'un des permanents de la maison des esclaves.
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Saturées de soleil, les couleurs vives de la façade contrastent avec la pénombre des cellules tapies dans les sous-sols. Là, tout au bout d'un couloir central, une porte donne sur la mer. La porte du voyage sans retour. Par ce rectangle de lumière ont transité des milliers et des milliers d'esclaves.
Ce matin, les bateaux de Dakar ont encore déversé des hordes de touristes européens, Français, pour la plupart. A la maison des esclaves, la foule bruisse en mitraillant la salle de pesage, le cachot où mouraient en nombre les enfants, la salle des inaptes temporaires que l'on engraissait comme des oies. Juché sur l'escalier menant aux appartements des négriers, Alioume Kabo établit le silence autour de lui.
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"Avec Elmina au Ghana et Ouida au Bénin, Gorée fut le centre de trafic le plus important de la traite négrière qui dura près de trois siècle et demi. Cette maison renfermait de 150 à 200 esclaves répartis par cellules selon leur sexe, leur âge. Des familles entières pouvaient ainsi être dispersées entre les différentes destinations. Le père aux États-Unis, la mère au Brésil ou à Cuba, les enfants à Haïti... |
"Chaque cellule mesurait 2,60 m sur 2,60 m. On y entassait jusqu'à vingt personnes enchaînées en permanence et dans des conditions d'hygiène déplorables. C'est ainsi qu'une première épidémie de peste est partie de ce lieu en 1779. Les captifs n'étaient sortis de leur cellule qu'une fois par jour pour satisfaire à leurs besoins. De leur arrivée dans cette maison jusqu'à leur départ pour les colonies, il pouvait s'écouler trois mois."
"Les enfants étaient choisis sur leur dentition. Un homme devait peser un minimum de 60 kg. Les femmes étaient jugées sur la valeur de leurs seins, leur virginité." Se donner à un négrier, une solution désespérée que tentaient nombre de jeunes captives pour recouvrer la liberté. Une métisse née de ce type d'union était appelée Signare, déformation de Segnora en Portugais. Les Signares formaient une sorte d'aristocratie à Gorée."
Alioume Kabo pointe du doigt les étages supérieurs. "L'acquéreur et le marchand d'esclaves se tenaient là, en haut de l'escalier, accoudés au balcon tandis que, sortant de la salle de pesage, les captifs étaient alignés en colonnes, dans cette cour, à l'endroit où vous êtes. On les palpait comme du bétail pour déterminer leur valeur marchande. Un homme ou une vierge pouvaient valoir un fusil... Les appartements que vous voyez à l'étage abritaient les Européens. On se demande comment pouvaient-ils y vivre sachant tout ce qui se passait sous leurs pieds."
Alioume montre maintenant la porte du voyage sans retour. "Au moment de l'embarquement, certains esclaves tentaient de s'évader en plongeant. Ils étaient aussitôt dévorés. Les requins pullulaient dans ces parages, nourris par les cadavres des malades jetés à la mer.
"Sous tous les cieux, sous toutes les formes, à tous les âges, la traite des esclaves a toujours existé. Mais sans la présence des Européens, elle n'aurait pas pris une telle ampleur en Afrique. Et ils ont su s'y prendre en armant les tribus les unes contre les autres, en encourageant les guerres tribales. Du coup, certains s'alliaient aux Européens pour assurer leur survie et coopéraient ainsi activement à la traite."
"Le 22 février 1992, le pape Jean-Paul II est venu à cette porte demander pardon à l'Afrique. Mais l'esclavage a-t-il disparu. Or, diamant, gaz, uranium... le continent africain comprend aujourd'hui des pays très riches qui continuent d'être pillés. Oui, la traite négrière se poursuit sous d'autres formes...."