A Heurteauville, ce jour de 1856, Camille Mainberte embrassa longuement ses parents, Il venait de s'engager dans la Royale. Devenu Brestois, le Normand allait faire partie de la prestigieuse Musique des Équipages de la flotte dirigée de main de maître par Léon Chic. Hélas, des jours tragiques l'attendaient... |
Bûcheron à ses heures, râleur à plein temps, mon arrière-grand-père, Pierre Mainberte, vécut à Jumièges et à Yainville. Ce n'est donc pas tous les jours qu'il croisait son oncle Auguste. Car ce dernier avait l'originalité d'être l'unique représentant de la famille Mainberte établi sur la rive gauche de la Seine, section d'Heurteauville.
Journalier et pêcheur, l'oncle Auguste avait eu de Reine Rose Bocachard huit enfants plus ou moins viables. Si bien que quand naquit mon arrière-grand-père, en 1842, seuls deux de ses cousins d'Heurteauville avaient survécu : Camille, un garçon et une fille au prénom mal défini comme cela était encore fréquent à l'époque. On l'affubla à sa naissance de prénoms masculins puis elle prit celui de son père dans sa forme féminisée. Allez vous y retrouver ! Enfin un dernier enfant vint au foyer de cet oncle mais mourut à 5 ans.
Le temps s'écoula sans histoire. Et mon arrière grand-père était encore bien jeune, 12 ans environ, quand son cousin Camille Mainberte, embrassa longuement ses parents de l'aut' côté d'liau. Il quittait Heurteauville pour Brest.
Engagé dans la RoyaleLe 1er avril 1861, alors âgé de 25 ans et matelot depuis cinq années, Camille Mainberte épouse Émilie Houzé, la fille d'un second-maître charpentier bien brestois, un Ti Zef comme on dit dans la cité du Ponant. Ce "bœuf"', surnom des seconds, n'avait pas été gâté par le destin. Sous Napoléon, il avait 4 ans quand son père passa par-dessus bord. Une fois marié, affecté à Toulon, sa femme vint à mourir. Alors, il s'en retourna à Brest et se remaria.
Émilie, sa fille du premier lit, a 17 ans lorsqu'elle épouse notre cousin venu de Normandie. Le consentement des parents du marié fut passé devant Me Bicheray, notaire à Jumièges, le 3 mars 1861. Il fallut aussi l'autorisation du conseil d'administration des équipages de la flotte. Le préfet maritime d'alors était le vice-amiral Gueydon dont on prononce toujours le nom dans une fameuse chanson. Tous Brestois, les quatre témoins des mariés sont Jean Nicolas André, écrivain de Marine, 37 ans, beau-frère du marié, Bris Rivoal, 63 ans et Paul Abgrall, 53 ans, tous deux retraités de la Marine, enfin Ambroise Godoc, 33 ans, menuisier au port,
Le couple s'établit au 20 de Bel-Air, à Recouvrance et c'est là que leur vint un premier fils, Julien. Camille Mainberte était alors attesté comme musicien de la Marine. Depuis quand ? Et puis comment ? Oui, comment ce fils de modeste journalier d'Heurteauville a-t-il été versé dans cet orchestre d'harmonie exigeant et à quel pupitre ? Lorsqu'il quitta son pays, la clique des pompiers de Jumièges n'était pas encore née. | Fifres, tambours, harmonies... à bord comme à quai, la Marine et ses régiments ont toujours aligné des musiciens. Mais de façon empirique. C'est en 1827 que sont officiellement créés deux orchestres, l'un à Brest, l'autre à Toulon, d'abord composés de 27 exécutants. Ils seront par la suite formés théoriquement de 30 sédentaires renforcés par 40 navigants. Ils forment les musiciens affectés à bord des vaisseaux amiraux. |
Sur le Champ de Bataille se produisent quasi-quotidiennement les musiciens des différentes armes. Après la Première guerre, le lieu prendra le nom du Président Wilson.
Sur le champ de
Bataille, les musiciens se produisent d'abord debouts, en cercle. Puis
une estrade leur sera élevée et, à partir de 1890,
un kiosque qui va faire les beaux jours de Brest jusqu'à
l'Occupation.
On
a une idée du répertoire de la
formation à laquelle appartient Mainberte. Un exemple pris
au hasard : le 5 avril 1863, à 14h, sur
le Champ-de-Bataille, cinq morceaux sont au programme : Allegro
militaire, Ouverture
de Sainte-Cécile, Air du 4e acte de la Juive
(Halévy), tous par L.C. Pas
de deux de Gisette, ballet d'Adolphe
(Adam) par Goard enfin Natchtigal,
polka allemande, par Moos.
L.C.,
ce son les initiales de Léon
Chic, le chef de la formation qui a grade d'enseigne de vaisseau.
Né
à Oviedo en 1819 d'un chef de musique espagnol d'origine
française,
il commence sa carrière dans la Royale dans la station du
Brésil et des mers du sud dirigée par l'amiral
Leblanc.
Apprenti marin,
il fut chef de musique à bord du Minerve de
décembre 1836
à avril 1840. Il fut ensuite cinq ans musicien gagiste au
sein du 3e
bataillon d'Infanterie de Marine. En 1949, son Ouverture de
Sainte-Cécile est
couronnée par le Ministère de la Guerre qui
le bombarde chef de la musique de la flotte à Brest en 1850.
Il succède au premier chef de la formation, Louis Meisterzheim,
Strasbourgeois décoré de la Légion d'Honneur.
Aussitôt, Chic alterne les périodes à la Division
avec de
brefs
embarquements puis reste rapidement stationné au
dépôt. Il se sent si bien à Brest,
inspiré
notamment par la musique bretonne, qu'il décline la
direction de la Musique de la garde impériale.
Le 10 août 1858, en
tout
cas, fut son jour de gloire. Le matin, Napoléon III lui
épingla la
Légion
d'Honneur lors de sa visite mémorable à Brest. A 21h,
dans la halle aux blés tendue de velours rouge, eut lieu le
grand bal. Chic et son confrère Tréguier étaient
les chefs d'orchestre. Ils accueillirent le couple impérial au
son de la Reine Hortense et
Mainberte était certainement parmi les exécutants. La
voix de 4000 invités couvrait la musique quand les souverains
firent leur entrée. On vit ensuite cinquante couples bretons en
costume traditionnel et précédés de sonneurs,
s'incliner puis danser devant Napoléon III et son épouse,
manifestement très amusés...
Oui, ce fut le jour de gloire de Chic qui sera
aussi chevalier de Saint-Stanislas, officier de
l'Instruction publique, baguette d'honneur du congrès
scientifique
de 1872. Entre temps, il s'est déjà impliqué dans
la vie de la cité. En 1862, il a pris la direction du Cercle
musical. Au théâtre ou encore salle de la Bourse, il
donne des récitals de piano, joue aussi en formation de musique
de chambre.
Vivant en compagnie de sa sœur Cécile,
frappé par la limite d'âge, il prendra
sa
retraite de la Marine en 1879 mais demeurera créatif dans le
champ
musical. Deux ans après sa compagne, il mourra à
Brest en
1916 rue
Voltaire, laissant derrière lui plus de 400 compositions et
adaptations des grands maîtres classiques et modernes mais
aussi
des hymnes nationaux dont les arrangements resteront
réglementaires dans la Marine. Voilà donc l'homme
à qui Camille Camille Mainberte doit
le respect. Il aura été parmi les 600 musiciens
formés par ses soins.
Le
champ-de-Bataille pour cadre, cinq
morceaux sur les pupitres, durant plusieurs années, le
même type
d'annonce se reproduit dans les colonnes de la presse locale,
notamment L'Armoricain.
La place du
Champ-de-Bataille possède
un kiosque. L'orchestre se produit aussi sur le Cours d'Ajot, ce qui a
pour vertu de dissipirer les élèves du collège
Joinville, on le voit sur d'autres places publiques et lors
des grands événements en ville. Comme au champ de course
lors des grandes réunions
hippiques. Bref, la musique des équipages est un acteur
culturel incontournable de la ville de Brest. |
Les chefs brestois Louis Meisterzheim (1827-1850) Léon Chic (1850-1879) Léon Karren (1879-1893) Joseph Farigoul (1893-1919) Jean-Jacques Mayan (1919-1924) Michel Boher (1925-1938) Jules Semler-Collery (1939-1943) Le même (1958-1960) Jean Hubert (1964-1980) Christian Ognier (1980-1995) Claude Kesmaecker (1995-2006 Didier Descamps (2006-2012) |
Musicien, Joseph Marius Didelot, 40 ans, est choisi comme témoin lorsque l'épouse de Camille accouche d'un troisième enfant en mars 1864. Quel est l'emploi du temps d'un membre de la musique ? Il est plutôt chargé. La variété des morceaux donnés au public et leur complexité suppose des heures de répétitions. Le mardi 22 novembre de cette année-là, Mainberte est sans doute à l'église de Notre-Dame-du-Mont-Carmel pour fêter sainte Cécile. Après une messe chantée par Lécureux, la Musique interprète trois morceaux religieux arrangés par Chic. On quête pour l'association des artistes musiciens de France.
Le 7 juillet 1865, l'orchestre ouvre un concert au Grand Théâtre avec La Folle des Grèves. En décembre, le jour de la Sainte-Eugénie, il accompagne un chœur d'enfant qui chante l'hymne des marins au profit des pupilles de la Royale. La musique est de l'abbé Liszt, les paroles du commissaire général Guichon de Grandpont. Le pape lui a même rajouté des strophes...
Le
24 août, la formation anime un bal
réunissant toute la bonne société
brestoise en l'honneur des officiers de l'escadre
anglaise à bord de la
Ville de Lyon, mouillée à
l'entrée de la
Penfeld : " Au centre,
à la place des cheminées de la machine,
on aperçoit une corbeille garnie de fleurs,
élevée de plusieurs
mètres, et dans laquelle était assis le corps de
musique des
équipages de la flotte, exécutant des quadrilles,
des valses, des
polkas, etc. Sur le fronton de la corbeille et dans un enfoncement
soutenu par des colonnades, se tenaient immobiles, appuyés
sur leurs
fusils, quarante pupilles de la marine qui, d'heure en heure, se
relevaient."
Mainberte fut aussi de l'inauguration de la ligne de chemin de fer où encore de la visite d'Abd El-Kader.
En novembre 1865, le couple Mainberte habite cette fois 20, rue de Bouillon et s'est rapproché de la Penfeld. Il lui vient un fils qui connaîtra une fin tragique, comme nous le verrons..
En
avril 1866, qualifiée de phalange
d'élite, la Musique participe à deux concerts au
profit des
artistes sinistrés. Verdi est notamment au programme.
Le 16 janvier 1867 mourut à Brest le premier chef de la Musique, Louis Meistertzheim. Celui-ci était né à Strasbourg le 3 septembre 1798. Il n'avait que le grade de maître et portait la Légion d'Honneur depuis 1845.
En septembre 1868, le bruit court que les musiques militaires seront supprimées. A Brest, une pétition rassemble des milliers de signatures et suscite un démenti du Ministre de la Marine.
En novembre 1868, la formation de Léon Chic rend hommage au préfet maritime, le vice-amiral Dupouy, décédé en fonction. Elle défile en compagnie de la musique du 70e de ligne et la fanfare du 2e régiment d'infanterie de Marine.
En décembre 1868, le couple Mainberte est localisé au 1, rue de la Touche, toujours à Recouvrance. Là, un autre musicien, Thomas Rémy, 43 ans, est encore témoin de la naissance d'un nouvel enfant. Une fille cette fois. Clin d'œil du hasard : l'officier d'état civil est un futur sénateur, Édouard Marie Le Guen, avocat de son état. Clin d'œil car cet homme est propriétaire d'une maison qui, un siècle plus tard, sera mon tout premier logement personnel lorsque je serai à mon tour marin.
Ici semble s'achever la carrière de musicien de Camille Mainberte. Elle aura duré une dizaine d'années. Semble, car des disciples de sainte Cécile apparaissent encore dans son entourage.
Changement de cap !Le 18 janvier 1871, Camille est maintenant gardien de port. Mais il fait encore appel à un musicien, Louis Flamand, pour la naissance d'une nouvelle fille.
En août 1872, nouveau changement de métier. Voilà Camille boulanger aux vivres. Mais c'est toujours un musicien, Jean-Jacques Saillour, 36 ans, qui est sollicité pour déclarer un enfant en mairie.
En 1873, Camille perd son père, mort à Heurteauville. Il enterre aussi une de ses filles puis un garçon vient compenser cette perte. Il est menuisier aux vivres et l'on ne voit plus de musiciens donner l'aubade aux nouveaux nés de la famille.
En 1877, pour la naissance de leur dernier enfant, les Mainberte résident 29, rue de Saint-Malo. Camille est maintenant tonnelier aux vivres. Les
années
avaient passé et l'aîné
des enfants était maintenant en âge d'entrer comme
son
père dans
la Royale. On pensa l'incorporer comme quartier-maître
distributeur
à bord du Limier. Il fut incorporé en 1884 et
congédié trois ans
plus tard. Dès lors, il fut inscrit maritime et sans
histoire.
A-t-il seulement été marié. Ouvrier
sur le port,
il était si discret que sa pension resta en souffrance,
faute
d'adresse connue, après son décès. Camille Mainberte et son épouse habitaient au 33, rue Vauban, quand ils marièrent leur fille Louise Ernestine, tailleuse, à un quartier-maître à la Division, Ernest Le Moign. |
LE
PROCÈS D'UN COLLÈGUE
En 1882, Camille suivit un procès retentissant qui assigna un musicien de 1ère classe, François-Marie Le Carboullec, 21 ans de service. Il tenait aussi un café avec son épouse, rue de Siam. Se croyant trompé, il avait tenté de tuer à coups de revolver sa femme et son ami d'enfance, Le Roux, un maître menuisier. Parmi les témoins : un autre musicien, Jean-Paul Naas, demeurant 2, rue de Sébastopol. Prison maritime, conseil de guerre, condamné à 5 ans de réclusion, bénéficiant de circonstances atténuantes, Le Carboullec se pendit dès son retour en cellule aux cordes de son hamac après avoir écrit une lettre d'adieu à ses enfants. |
Brun,
les yeux "roux", il
mesurait 1,63 m et s'était engagé pour cinq ans
dans les équipages
de la flotte le 23 avril 1885. Charles Joseph rengagea pour trois ans,
étant
quartier-maître de mousqueterie, autrement dit fusilier
marin, plutôt que timonier comme
l'avancera la Dépêche de Brest.
Ses embarquements ne sont pas précises dans son dossier
militaire. Mais l'on sait qu'il était en dernier lieu
à
bord du Borda.
Plusieurs
bâtiments de la Royale ont porté ce nom
emprunté
à un chevalier gascon à qui, entre autre, le
système métrique est redevable. Si bien que Brest
a sa rue Borda, celle des restaurants de nuit.
Ancien transporteur d'abord baptisé l'Intrépide,
le Borda qui
nous intéresse, 4e du nom vient tout juste de remonter
de Toulon pour être affecté à
l'école
navale. Charles-Joseph vient donc d'arriver à bord de ce
navire
qui en impose par sa taille.
Nous le suivons rue Neuve-des-Sept-Saints. Nous sommes dans le quartier
chaud de Brest, un véritable coupe-gorge où se
multiplient les faits-divers. C'est là que sont
concentrées les prostituées dans 26 maisons
closes
accueillant en moyenne une huitaine de filles chacune. C'est sans
compter les indépendantes. En tout, le nombre de femmes
galantes
dépasserait le millier. Voici le
compte-tendu du journal local du 19 août 1890 :
Suicide
d'un quartier-maître dans une
maison de tolérance.— Deux coups de revolver.
— Un
quartier-maître de timonerie du Borda, le
nommé Mainberte
(Charles-Joseph), âgé de 25 ans, s'est
suicidé hier matin,
dans une maison de tolérance.
Avant-hier soir, Mainberte se
présentait chez le sieur Guillou, rue Neuve des Sept-Saints,
16. Après
s'être fait servir une bouteille de bière qu'il
paya 60 centimes,
il demanda à coucher.
Mainberte n'avait plus d'argent. Comme
le patron refusait de l'héberger gratis, il tira sa montre
en or et
la donna en gage de la somme de cinq francs, prix de
l'hospitalité
qu'il réclamait. La chose se fit dans toutes les
règles. Un
papier fut signé et Mainberte monta se coucher dans la
chambre
occupée au 3e étage par la nommée
Guyader (Joséphine).
Au
dire de cette fille, la nuit se passa sans encombre. A aucun moment,
le quartier-maître ne fit le moindre signe, la moindre
allusion
pouvant trahir sa tragique résolution.
Au matin, Joséphine
Guyader pressa son compagnon de se lever. Mainberte refusa et
déclara
qu'il voulait dormir jusqu'à une heure. A midi, heure du
dîner,
elle renouvela ses instances et lui proposa de venir manger un
morceau. Il répondit qu'il voulait dormir et qu'il avait une
permission de quarante huit heures.
Devant ces refus
réitérés, la femme Guyader le laissa
seul. C'est ce qu'attendait
Mainberte.
Dès qu'elle fut en bas, il arma un revolver do
poche dont il était muni, et, allongé sur le lit,
dans un état
complet de nudité, il s'en tirait deux coups, l'un dans la
région
du cœur, l'autre dans la bouche. La mort fut
instantanée.
Cependant, les détonations n'avaient pas
été entendues du
rez-de-chaussée. Ce n'est que lorsque la femme Guyader eut
fini de
dîner, que, remontant chez elle, elle sa trouva on
présence du
cadavre.
Mainberte était méconnaissable. Le sang
s'échappait à flot de la blessure du
cœur et du
visage à demi
fracassé, la femme Guyader cria, et toute la maison
accourut, tandis
qu'une des personnes présentes
allait prévenir la police.
Le
commissaire du 2e arrondissement ne tarda pas à arriver,
ainsi que
le docteur Béchon qui constata, comme nous le disons plus
haut, que
la mort avait été instantanée.
Les constatations légales
terminées vers une heure et demie, un agent fut
chargé d'aller
requérir un cadre à la porte Tourville.
Grâce aux formalités
ordinaires, le cadre n'arriva qu'une heure après,
porté par quatre
marins du Borda, conduits par un quartier-maître. On mit le
cadavre
dessus et le funèbre cortège se dirigea vers
l'amphithéâtre de la
marine, où le corps a été
déposé.
Photo de
Boëlle prise
quelques années après la mort de Charles-Joseph.
Les
maisons closes, alignées derrière les remparts,
ont
été rasées avant la fin du
siècle. La
prostitution s'est alors déplacée
derrière
l'église Saint-Louis. (Archives de Brest).
Mainberte avait
réellement l'intention de mettre fin à ses jours.
Le revolver dont
il s'est servi était neuf et l'on a retrouvé dans
la poche de son
pantalon une assez grande quantité de cartouches, mais quels ont
été les mobiles de cette funeste
détermination ?
De
l'enquête commencée et si nous sommes bien
informés, il semble
résulter que le malheureux quartier-maître aurait
dissipé une
somme de 87 francs, produit d'une quête faite parmi
l'équipage du
Borda pour
les incendiés de Fort-de-France. Prévenue de ce
détournement, sa mère aurait remboursé
la dette, mais, ignorant
le fait et redoutant le conseil de guerre, il se serait
donné la
mort. Depuis trois jours,Mainberte n'avait pas répondu
à l'appel de
son bord. Sa mère et son frère le cherchaient
depuis avant-hier.
A
part cette erreur momentanée, que le pauvre
garçon a cruellement
expiée, Mainberte passait pour être de fort bonne
conduite.
Excellent marin, c'était en outre un très bon
fils. Sa famille,
plongée dans un deuil doublement cruel, est des plus
honorables.
Un grand nombre de curieux encombraient les abords de la rue
Neuve des Sept-Saints et de la rue de Siam au moment du transfert du
cadavre à l'amphithéâtre.
Deux
agents de police,
Jacques Méar et
Léon Templier, firent la déclaration du
décès en marie tandis que l'on écrivit
dans son
dossier militaire :
"décédé à Brest le 18
août 1890 des suites de blessures
causées par une arme à feu (suicide)".
L'incendie de Fort-de-France dont il est question détruisit
1.600 maisons. 6.000 personnes se retrouvèrent sans abri ni
pain.
On imagine la douleur de la famille
Mainberte. Mais il leur restait une fille mariée et deux
fils sur qui reposaient encore leurs espoirs. Quant à Templier,
l'un des policiers qui enquêta sur le suicide de Charles-Joseph
Mainberte, il fut mordu par un "Marsouin", quelques mois plus tard,
dans la même maison hospitalière. Mauvaise adresse...
"L'Artillerie de Marine, voilà mes amours..." Un certificat d'études décroché dans le 3e canton de Brest le 30 juin 1887, les cheveux bruns, les yeux gris et 1,70 m sous la toise Julien-Marie Mainberte s'engage dans le 1er régiment d'Artillerie de Marine le 24 mars 1892. Ainsi débuta sa carrière militaire chez les Bigors, autrement dits les Bigorneaux, surnoms des artilleurs de marine accrochés à leurs rochers. Il allait faire la campagnes de Madagascar et y obtenir une Médaille, passer en Guyane, en Cochinchine, le tout de 1894 à 1910.
1894, c'est précisément l'année où le père, Camille, décéda à 58 ans au 33, rue Vauban. L'ouvrier tonnelier qu'il était en dernier lieu était en retraite depuis 3 ans. Jeune pour mourir. Le suicide de son fils n'y est peut-être pas étranger.
Le 28 mai 1896, René, le dernier des Mainberte, s'engage son tour dans l'Artillerie de Marine, 2e régiment. C'était un garçon de 1,76, brun, présentant une cicatrice au front. On l'incorpora comme canonnier servant.
26 mars 1898, La Dépêche de Brest nous parle de Julien-Marie Mainberte : "...Un deuxième détachement, composé comme suit, sera mis en route pour Lorient le 30 mars prochain, par le train de 8 h. 24, à l'effet de suivre les cours des élèves artificiers : un sous-chef artificier et cinq canonniers, et sera placé sons le commandement du sous-chef artificier Mainberte."
Le 21 janvier 1899,
René Mainberte fut
nommé brigadier. Mais on
le cassa de son grade pour une raison qui nous échappe.
Il redevint en tout cas canonnier en juillet par ordre
du commandant des troupes d'artillerie du
Sénégal.
René fut stationné deux ans en Afrique, passant
en fin de
campagne du 2e au 1er
régiment d'artillerie de Marine. Puis il fut
dirigé sur
la Chine
en guerre. Neuf mois. On le libère en juin 1901.
Dès
lors, il
travaille sur le port de Brest et habite la maison familiale du 33,
rue Vauban.
Le 18 novembre 1904, alors
qu'elle demeurait
toujours rue Vauban,
la veuve Mainberte fut victime de maraudeurs qui volèrent
des
marchandises évaluées à 5 F environ
dans une
échoppe à fruits,
près de la porte du Conquet. Martin, le
garde-champêtre
des
Quatre-Moulins, mena l'enquête. La demande
d'indemnité de
la veuve
Mainberte fut rejetée. En 1909, elle se rapprocha de sa
fille
Louise qui eut le malheur de perdre son mari. Ernest Le Moign avait 46
ans.
Promu fin 1907 adjudant au 1er
régiment d'artillerie coloniale, Julien-Marie
quitta à son tour l'armée. Le 27 janvier 1912, il
fut nommé après 20 ans de carrière
receveur-buraliste sur la place de Plaintel.
C'est un bourg où la culture bretonne demeure
très
vivante,
notamment par les costumes, la danse des Guédennes qui voit
les
hommes soulever très haut leur cavalière...
Médaillé militaire, Julien s'inscrit à
la section
de Saint-Brieuc en juillet 1912, mois où il
se marie avec Geneviève Audirac.
Le 4 octobre 1914, alors que Julien-Marie, est rappelé, la veuve Mainberte rend l'âme chez sa fille Louise, veuve Le Moign, au 28 de la rue Armorique, à Recouvrance. Le buraliste de Plaintel fera toute la campagne de la Grande-Guerre jusqu'en 1919. Dans l'artillerie à pied puis l'artillerie lourde. Par arrêté du Ministre de la Guerre, il fut fait chevalier de la Légion d'Honneur le 11 janvier 1919. Il était alors officier d'administration de 3e classe au dépôt du parc d'artillerie d'un corps d'armée.
Mobilisé le 1er mai
1915,
2e canonnier servant au 6e régiment d'artillerie
à pied. René, le
benjamin des Mainberte, ne
reviendra pas. Il est
tué à l'ennemi à Marbotte, dans la
Meuse, le 6
octobre 1916. "Pendant
un tir de riposte où il causait de graves
dommages aux tranchées ennemies, pris sous un feu de
plusieurs
engins allemands bien réglées, a
continué à tirer jusqu'à ce
qu'il soit mortellement atteint." Ainsi sera-t-il
cité à
l'ordre de son régiment comme chef d'équipe d'un
obusier de 150
"d'un sang froid au
dessus de tout éloge."
Rendu à la vie civile Julien Marie Mainberte monta en grade au sein du syndicat des buralistes. En août 1920, il est élu président des Côtes-du-Nord et apparaît dans les instances nationales, souvent cité dans la presse pour ses interventions en faveur de la profession. L'épouse Mainberte est quant à elle débitante et le couple a une domestique en 1921 en la personne d'Augustine Courcoux. Cinq autres débitants bordent la place. Plus tard, la maison Mainberte sera recensée non plus sur la place du bourg mais au marché aux porcs. Nommé tour à tour à Douarnenez, Paimpol, Epernay, Mainberte déclinera systématiquement toute ces mutations et c'est à Plaintel qu'il est décédé en 1953. Il y laissa descendance et j'ai aujourd'hui de lointains cousins. En revanche, je pense n'avoir aucun à Brest. Peut-être du côté des Le Moign. Le hasard en tout cas vous fait parfois de curieux clins d'œil. En m'engageant dans la Royale en 1969, j'ignorais qu'un membre de ma famille, exactement cent ans avant moi, avait parcouru le même chemin. Et c'est à Recouvrance, au National, un jour de 14 Juillet que j'ai rencontré ma future. Décidément... |
La dynastie des chefs...
A Léon Chic succéda Léon Karren, né à Paris, et qui dirigea la formation de 1879 à 1893. Vint un Occitan, Joseph Farigoul, en poste jusqu'à sa retraite en 1919. Du sud encore arriva Jean-Jacques Mayan qui effectua un court séjour jusqu'en 1924.Puis ce fut Michel Boher jusqu'en 1937. Un Chtimi, Jules Semler-Collery, fit deux intermèdes : le premier interrompu par Juin 40, le second d'octobre 48 à septembre 60. Jean Hubert, enfant d'Alfortville prit la suite de 1964 à 1980. Puis Christian Ognier (1981-1995), Claude Kaermaecker en 1995. |
|
Laurent QUEVILLY.
SOURCES
Archives de Brest. Avec un remerciement spécial à Hugues Courant pour son aide.
Archives des Côtes d'Armor, état civil et recensements de Plaintel.
La Dépêche de Brest, L'Armoricain, La Liberté, Le Ménestrel etc.
Nos auteurs et compositeurs dramatiques, Jules Martin,