Napoléon, etc.,

Vu le recours de notre ministre des travaux publics, tendant à ce qu'il nous plaise annuler un arrêté du 4 octobre 1866, par lequel le conseil de préfecture de la Seine-Inférieure, statuant sur un procès-verbal dressé, le 19 décembre 1865, contre le sieur Pierre Lebourg, propriétaire à Mesnil-sous-Jumiéges, et contre le sieur Ligois, son ouvrier, pour avoir coupé et enlevé, malgré la défense de l'administration, les osiers plantés sur les risbernes établies en avant du pied des perrés, entre les bornes kilométriques 284 et 285 du chemin de halage de la Seine, sur une longueur de140 métres et une largeur de 1,30m, s'est déclaré incompétent, en se fondant sur ce qu'aucun dommage n'avait été causé au chemin de halage et aux rives de la Seine, et sur ce que le fait reproché aux sieurs Lebourg et Ligois ne pouvait donner lieu, de la part de l'État, qu'à une action civile en dommages-intérêts ;

Un bien public


Ce faisant, et attendu que les risbernes sur lesquelles les sieurs Lebourg et Ligois ont coupé des osiers, sont une dépendance du lit du fleuve; que ces osiers ont été plantés par l'administration pour la conservation des digues et constituant de véritables ouvrages publics; que leur enlèvement cause, dès lors, un dommage sérieux à l'administration, et constitue une contravention de grande voirie, faire aux sieurs Lebourg et Ligois application de l'article 11 de l'arrêt du conseil du 24juin 1777, et les condamner à une amende de 16 francs;

Lebourg se défend

Vu le mémoire en défense présenté par le sieur Lebourg, et concluant à ce qu'il nous plaise rejeter le pourvoi de notre ministre, attendu que les osiers par lui coupés ont poussé naturellement sur un terrain situé entre le chemin de halage et la Seine, et qui, sans cesser de lui appartenir, a été séparé de sa propriété par la création de ce chemin, et que l'administration n'ayant jamais prétendu tirer parti de ces osiers, le service public n'a pu éprouver de leur enlèvement aucun préjudice;

Vu le procès-verbal dressé, le 19 décembre 1865, par le sieur Descamps, conducteur des ponts et chaussées à Cauclebec, et constatant que le sieur Lebourg (Pierre), demeurant à Mesnil-sous-Jumiéges. et le sieur Ligois, son ouvrier, ont coupé, malgré la défense du cantonnier en chef, des osiers plantés par l'administration sur les risbernes établies en avant du pied des perrés du chemin de halage de la Seine, sur une longueur de 140 métres et uue largeur 1,30 m;

Vu l'arrêt du conseil, en date du 24 juin 1777, notamment l'article 11 ;

Vu la loi du 29 floréal an X, l'article 558 du Code Napoléon, la loi des 19-22 juillet 1791. notamment l'article 29 du titre 1er et l'article 1er de la loi du 23 mars 1842 ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les sieurs Lebourg et Ligois ont coupé et enlevé des osiers plantés par l'administration, sur les risbernes établies en avant du pied des perrés du chemin de halage de la Seine, et dans le lit même du fleuve, pour protéger les rives contre l'érosion des eaux ; que ce fait rentre dans le cas de contravention de grande voirie prévu par la loi du 29 floréal an X; que vainement, pour se soustraire à la poursuite dont il est l'objet, le sieur Lebourg soutient qu'avant la rectification du chemin de halage et les travaux exécutés par l'administration, le terrain où les osiers ont été coupés avait fait partie de sa propriété ; qu'en l'état, il pourrait seulement, s'il s'y croit fondé, réclamer devant l'autorité judiciaire l'indemnité qu'il prétendrait lui être due ; que, de ce qui précède, il résulte qu'en se déclarant incompétent et renvoyant l'administration à se pourvoir, par action civile, contre les sieurs Lebourg et Ligois, le conseil de préfecture a méconnu ses pouvoirs;

Condamné à minima


Considérant que, d'après l'article 11 de l'arrêt du conseil du 24 juin 1777, il est interdit, sous peine d'amende arbitraire, de dégrader, détruire ou enlever les ouvrages publics construits pour la facilité et la sûreté de la navigation et du halage, et que, d'après l'article 1er e la loi du 23 mars 1842, les amendes arbitraires peuvent varier entre un maximum de 300 francs et un minimum de 16 francs;

Considérant qu'il y a lieu, eu égard aux circonstances de l'affaire, de fixer l'amende à ce dernier chiffre;

Art. 1er. L'arrêté du conseil de préfecture du département de la Seine-Inférieure, en date du 8 octobre 1866, est annulé.

2. Les sieurs Lebourg et Ligois sont condamnés à une amende de 16 francs.